Législatives en Espagne : la coalition Sumar, le nouvel espoir de la gauche

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Sumar, la coalition de gauche créée par l’ancienne militante communiste Yolanda Diaz, rencontre un succès grandissant à l’approche des élections législatives du 23 juillet en Espagne. Avec 13,5 % des intentions de vote, le mouvement s’affiche désormais comme la quatrième force politique du pays.

Elle est assise au centre de la petite estrade, dans son tailleur rose poudré. Yolanda Diaz est souriante. La ministre du Travail, également vice-présidente du gouvernement de coalition socialiste de Pedro Sanchez, dégage calme et autorité naturelle. La fondatrice du mouvement Sumar (“additionner”, en espagnol) inaugurait le 18 juin le siège de campagne de son parti, en plein cœur de Madrid. D’abord simple association créée en mars 2022, Sumar est devenue une coalition politique le 30 mai dernier, au lendemain de la convocation d’élections générales anticipées.

En quelques semaines, Yolanda Diaz a réussi un tour de force : fédérer une quinzaine de partis de gauche radicale pour présenter une liste commune aux élections du 23 juillet prochain. Du jamais-vu depuis la restauration de la démocratie en Espagne, en 1977.

Redistribution des richesses, écologisme et féminisme

Yolanda Diaz a su tirer profit de la désintégration progressive d’Unidas Podemos. La formation, dont elle faisait encore partie il y a moins d’un an, a été la principale alliée politique du gouvernement Sanchez lors de la dernière législature. La loi “Seul un oui est un oui”, mesure star d’Unidas Podemos introduisant l’obligation d’un consentement explicite dans la lutte contre les agressions sexuelles, a précipité sa chute. Avant-gardiste en Europe, le texte permet aux femmes de ne plus avoir à démontrer la présence de violence ou d’intimidation lors d’une agression pour que celle-ci soit reconnue comme un viol. Proposée par la ministre de l’Égalité Irene Montero, la loi devait également apporter une réponse pénale plus sévère aux agresseurs sexuels, par une modification du code pénal. Elle a provoqué l’effet inverse : la réduction des peines de plus de 1 000 agresseurs sexuels et la remise en liberté de cent dix-sept d’entre eux.

Un scandale national, sanctionné dans les urnes lors des élections régionales et municipales, le 28 mai 2023. Unidas Podemos est passé de 47 députés régionaux à 13. Après s’être farouchement opposé durant plusieurs semaines à rejoindre Sumar, le mouvement déchu a fini par s’allier à la nouvelle formation. Ultime camouflet pour le parti, la coalition a réussi à évincer des listes Irene Montero, figure de proue de Podemos.

Sumar, l’ovni politique

Sumar a réussi à regrouper la quasi-totalité des partis à gauche du Parti socialiste espagnol (PSOE). “Sumar englobe des partis régionaux, des partis verts, mais aussi tous les partis post-communistes. C’est un amalgame hétérogène (…) qui combine des positions économiques en faveur de la redistribution des richesses et qui soutient les nouveaux droits liés à l’écologisme, au féminisme et à la défense des minorités sexuelles”, explique le politologue Pablo Simon, professeur à l’université Carlos III de Madrid. Pour ses sympathisants, Sumar est le mouvement providentiel. Le seul capable de relever les défis climatique et énergétique tout en amorçant de nouvelles politiques économiques, sociales et féministes.

Parmi les mesures phares de son programme électoral figure la mise en place d’un héritage universel. Inspiré de l’économiste Thomas Piketty, ce projet permettrait aux jeunes Espagnols de débloquer la somme de 20 000 euros à l’âge de 23 ans afin de “préparer leur insertion professionnelle, développer un projet d’entrepreneuriat ou encore faire une formation”, selon le porte-parole de campagne Ernest Urtasun. D’un coût chiffré à 10 milliards d’euros, l’héritage universel serait financé par un nouvel impôt sur les grandes fortunes.

Également dans le programme, la construction de deux millions de logements d’ici dix ans, par le biais d’un investissement de 1 % du PIB chaque année – contre 0,25 % actuellement. Un projet qui coûterait à nouveau 10 milliards d’euros et que Sumar se propose de financer par la création d’un nouvel impôt sur les bénéfices des grandes entreprises. En matière de mesures sociales, le mouvement souhaite réduire la journée de travail, mais aussi créer une vice-présidence du féminisme ou encore renforcer le ministère de l’Égalité, une institution que le parti d’extrême droite Vox aimerait supprimer.

Yolanda Diaz, nouvelle égérie de la gauche

Au QG de campagne de Sumar, sur la scène baignée de lumière violette, la couleur du féminisme, les participants expliquent tour à tour pourquoi ils ont rejoint la formation. “C’est plus qu’un parti politique ou qu’un mouvement citoyen”, commence Veronica Martínez, tête de liste du mouvement à Pontevedra (Galice). “Sumar, c’est un outil pour transformer notre réalité, dans un moment où nous en avons grandement besoin.” Les applaudissements font vibrer la salle.

Aux côtés de Yolanda Diaz, Agustin Santos Maraver, ex-ambassadeur d’Espagne auprès des Nations unies à New York et numéro deux du mouvement, déclame : “L’Espagne a besoin d’un timonier, et de quelqu’un qui nous réunisse tous.” Avant de confirmer: “Cette personne, c’est Yolanda.” À sa gauche, la politicienne de 52 ans lui sourit, émue.

De solides personnalités et experts issus de la gauche radicale ont rejoint Sumar depuis sa création. Tous voient en Yolanda Diaz une personnalité capable de mener de grands changements. Parmi eux, l’économiste de renom Nacho Alvarez, mais aussi Carlos Martín, conseiller économique de la formation au Congrès des députés. “J’ai vécu 52 réformes du marché du travail, témoigne-t-il, mais personne n’avait jusqu’ici réussi à en finir avec le monstre de l’emploi temporaire… jusqu’à l’arrivée de Yolanda Diaz.”

Le bilan de la ministre du Travail au sein du gouvernement a été unanimement salué à gauche. En un an, les contrats temporaires dans le secteur privé ont chuté de sept points pour atteindre le chiffre historique de 17,5 %. En 2022, 5,78 millions de contrats à durée indéterminée ont été signés, soit 4,5 millions de plus que l’année précédente. Et le taux de chômage, de 12,7 % en avril 2023, est au plus bas depuis 2008.

La personnalité politique la plus appréciée des Espagnols

De bons résultats économiques qui donnent confiance à une partie croissante de l’électorat de gauche. Selon la dernière enquête du CIS, le Centre de recherches sociologiques espagnol, Yolanda Diaz serait la personnalité politique la plus appréciée des Espagnols, devant le socialiste Pedro Sanchez et le conservateur Alberto Nunez Feijoo.

“Je pense que Yolanda Diaz a déjà prouvé son intégrité et sa valeur par des actes, et non seulement par des mots”, affirme Xulia Ares Vila, une artiste de 36 ans. L’électrice se prend à rêver : “Si les réformes qu’elle a menées dans le domaine du travail pouvaient être mises en œuvre dans tous les secteurs, notre pays ferait beaucoup de progrès en peu de temps.”

La nouveauté et l’hétérogénéité du parti n’effraient pas non plus Myriam, mère de famille : “Yolanda a de l’expérience. Elle a déjà évolué au sein d’une coalition avec le PSOE, et elle a très bien réussi.” Pour elle, “l’enjeu est de taille : l’extrême droite pourrait entrer dans les institutions, et ce, de manière démocratique”.

Sumar talonne l’extrême droite

Une crainte qui pourrait être fondée. Avec 31,8 % des intentions de vote, le parti conservateur PP est pour le moment en tête dans les sondages. Ce score lui accorderait 127 des 350 sièges du Congrès des députés, mais ne lui permettrait pas d’obtenir une majorité absolue. Le PP devrait alors s’allier avec le parti d’extrême droite Vox pour gouverner. Une alliance déjà consacrée au niveau local et régional.

Deuxième force politique, crédité de 29,5 % des intentions de vote, le PSOE n’obtiendrait pas non plus de majorité absolue et devrait donc compter sur les bons résultats de Sumar pour gouverner. Le mouvement recueille 12,6 % des intentions de vote, selon le dernier sondage de l’institut 40dB, publié le 13 juillet. Un chiffre en constante augmentation qui pourrait le placer au coude-à-coude avec Vox, crédité de 14,8 % des intentions de vote.

Sumar est devenu “un acteur clé du maintien au pouvoir du PSOE”, certifie Pablo Simon. Le spécialiste du système électoral est formel : “Il ne pourra pas y avoir de gouvernement de gauche en Espagne sans Sumar.”

 

Avec France 24

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