Le Nigéria entre dans l’histoire aujourd’hui, ce lundi 29 mai 2023, avec l’investiture de son cinquième président depuis le retour du pays à la démocratie en 1999, Bola Ahmed Tinubu, et de son vice-président, Kashim Shettima.
Cette investiture intervient après que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) les a déclarés, le 1er mars, président élu et vice-président élu, à la suite de leur victoire à l’élection présidentielle du 25 février au Nigéria.
Si l’investiture montre clairement à quel point la démocratie et son acceptation par les citoyens se sont approfondies au Nigéria, elle est aussi l’occasion d’examiner certaines mesures importantes que l’administration entrante doit prendre pour garantir la stabilité, le développement socio-économique et la coexistence pacifique entre les Nigérians. Cela est nécessaire parce que la victoire aux élections n’est que le précurseur de la gouvernance.
Au-delà des élections se cachent des problèmes très graves auxquels le gouvernement doit s’attaquer. Il n’est pas étonnant que les citoyens votent pour les candidats de leur choix dans l’espoir qu’ils conçoivent, élaborent et mettent en œuvre des idées, des politiques et des programmes qui amélioreront la société pour le bien-être de tous.
Dans son manifeste, M. Tinubu a présenté un programme en huit points, dont les priorités sont la sécurité, l’économie, l’agriculture, l’électricité, le pétrole et le gaz, les transports et l’éducation. Le manifeste de Tinubu a été résumé dans un document de 80 pages intitulé “Renewed Hope 2023-Action Plan for a Better Nigeria” (Espoir renouvelé 2023 – Plan d’action pour un Nigeria meilleur). Il évoque également des projets en matière de soins de santé, d’économie numérique, d’autonomisation des femmes, de réforme judiciaire, de fédéralisme, de décentralisation du pouvoir et de politique étrangère.
Il ne fait aucun doute que le nouveau président s’appuiera sur son sens de l’administration et son expérience reconnus pour mettre en œuvre ses plans pour un Nigéria meilleur.
La sécurité semble être la tâche principale de l’administration Tinubu. En 2015, lorsque Muhammadu Buhari a pris ses fonctions de président, il a fait de la sécurité l’un des trois axes principaux de son administration. Buhari a veillé à ce que des fonds soient investis dans l’achat d’équipements militaires supplémentaires. Cependant, malgré ces investissements, la situation sécuritaire du pays laisse encore à désirer.
Si le défi de l’insurrection dans le Nord-est s’est atténué, des poches de banditisme subsistent dans le Nord-ouest et le Nord-centre du pays. Il convient également de noter les activités des tireurs inconnus et des agitateurs séparatistes dans le Sud-est, ainsi que les enlèvements dans d’autres parties du pays. Ces événements ont entraîné des enlèvements, des meurtres et la perturbation des activités économiques et sociales dans de nombreuses régions du pays.
L’insécurité ayant causé la mort de 63 000 personnes au cours des huit dernières années, il est évident que l’administration dirigée par le nouveau président Tinubu doit prendre des mesures décisives pour relever le défi qu’elle pose au pays. L’insécurité repousse les investisseurs, suscite la peur parmi la population et provoque un sentiment général d’instabilité.
En ce qui concerne l’économie, la dette du Nigéria, comme l’indique le Bureau de gestion de la dette, DMO, a atteint 46,25 mille milliards de nairas à la fin du quatrième trimestre de 2022. Cela constitue un sérieux frein à la croissance économique du pays. Le Nigeria gémit sous le joug de ce fardeau de la dette. On s’attend donc à ce que la nouvelle administration cherche à annuler la dette. L’un des moyens d’y parvenir est de nommer dans l’équipe de gestion économique des technocrates qui comprennent la dynamique et la politique de la dette extérieure.
Il est également nécessaire de réduire le gaspillage et le coût de la gouvernance, qui est devenu un fardeau sérieux pour la croissance de l’économie. Le grand éléphant dans la salle économique nigériane à l’heure actuelle est la subvention pétrolière. Dans la loi portant ouverture de crédits de 2023, le Nigéria a mis de côté 3,36 mille milliards de nairas (environ 7,5 milliards de dollars) pour le paiement des subventions jusqu’au milieu de l’année. Cela donne une idée de l’énorme quantité d’argent que le Nigéria dépense chaque année pour les subventions, ce qui, selon de nombreux observateurs, n’est pas viable.
Ces dépenses considérables pourraient être affectées à des secteurs tels que l’éducation, la santé et le développement du capital humain, qui ont un impact direct sur la population. Mettre fin aux subventions exige de la volonté politique et du courage. Cela signifie également que le gouvernement doit veiller à ce que des palliatifs soient mis en place pour atténuer les effets de la politique sur les Nigérians. La manière dont le nouveau gouvernement gérera cette question déterminera son degré de réussite dans le sauvetage de l’économie.
La hausse de l’inflation, qui est actuellement estimée à 22 %, a continué à affecter le niveau de vie des Nigérians. Elle a également entraîné des taux de chômage élevés, en raison de la faiblesse des investissements dans les secteurs réels. Les désinvestissements des investisseurs étrangers dans les entreprises se sont également multipliés en raison de la faiblesse de l’approvisionnement en électricité et de l’insécurité. Tous ces éléments requièrent des actions délibérées de la part de la nouvelle administration, afin de changer les choses.
Le secteur de l’électricité, les routes, les chemins de fer, l’aviation et les transports maritimes sont autant de domaines qui nécessitent une action urgente. Le Nigéria n’a toujours pas de transporteur national, bien des années après que l’ancien Nigeria Airways a cessé de voler. Il en va de même pour l’industrie maritime, qui possédait plus de 20 navires dans les années 1970, mais n’en a plus aucun depuis que la Nigerian National Shipping Line (NNSL) est devenue moribonde.
Ces secteurs auraient pu être des sources de revenus pour le pays, mais le Nigeria les a tous perdus à cause de la mauvaise gestion et de la corruption.
L’une des manifestations face à la corruption au Nigéria est l’incapacité du pays à atteindre son quota de production journalière de l’OPEP en raison du vol de pétrole. À l’heure actuelle, le Nigeria produit moins de 1,8 million de barils de pétrole brut par jour sur le quota alloué par l’OPEP. Malgré la sophistication des voleurs de pétrole, le gouvernement peut prendre des mesures pour mettre fin à la menace avec détermination et sincérité.
Le Nigéria a connu 24 années de démocratie ininterrompue et les citoyens ont montré leur détermination à poursuivre sur cette voie pour un développement durable. Mais cela ne peut être garanti qu’en veillant à ce que les institutions, qui constituent le socle sur lequel repose la démocratie, soient renforcées. Des institutions telles que la Commission électorale nationale indépendante, INEC, la Commission de lutte contre les crimes économiques et financiers, EFCC, et la Commission indépendante des pratiques de corruption et autres délits, ICPC, doivent être renforcées afin de les rendre véritablement indépendantes.
Il est indéniable que certaines décisions du gouvernement, les nominations à des postes politiques et l’attribution de projets, en particulier si elles sont fondées sur des critères étrangers, peuvent élargir les lignes de fracture ethniques et religieuses. Cependant, les élections sont terminées et le Nigeria doit être uni pour retrouver l’espoir. La capacité du nouveau président et de son administration à unir tous les Nigérians, indépendamment de leurs affiliations politiques, de leur appartenance ethnique et de leur religion, sera une réussite majeure pour l’administration de Bola Ahmed Tinubu. Cela permettra au nouveau président d’obtenir le soutien nécessaire pour réussir.