Que signifie l’élection présidentielle du 12 juin 1993 dans l’histoire politique du Nigéria?
Article de Lekan Sowande
Dimanche 12 juin 2022, cela fait exactement 29 ans que les Nigérians se sont rendus aux urnes pour élire un nouveau président dans la troisième République du parcours démocratique du pays. Cette élection présidentielle était la première depuis le coup d’État militaire en 1983 qui a balayé les politiciens de la deuxième République.
Dans la troisième République, il n’y avait que deux partis politiques. Ces deux partis étaient alors le Parti social-démocrate (SDP) et la Convention républicaine nationale (NRC). Les candidats à cette élection étaient le magnat des affaires africain, Chief Moshood Kashimawo Olawale Abiola, plus connu sous le nom de MKO Abiola, qui était le candidat du SDP ; son adversaire était Alhaji Bashir Tofa, candidat de la NRC et magnat des affaires dans le Nord du pays.
À cette époque, les Nigérians se moquaient de la religion ou de la région à laquelle appartenaient les deux candidats sur le bulletin de vote, car le candidat du SDP et son colistier étaient tous deux musulmans.
À la fin de l’élection, MKO Abiola aurait obtenu plus de huit millions de voix et gagné dans 19 États, tandis que son adversaire, le candidat du NRC, Tofa, a obtenu plus de six millions de voix et gagné dans 10 États. Sur les plus de 14 millions de votes exprimés, Abiola a remporté près de 60 pour cent des votes exprimés, ce qui fait de lui le vainqueur de l’élection.
Par rapport aux élections précédentes qui ont été entachées de fraudes massives, de violence et d’intimidation, l’élection présidentielle du 12 juin 1993 a été pacifique et crédible. Le scrutin présidentiel a été jugé le plus libre et le plus équitable dans l’histoire des élections au Nigeria.
Malheureusement, l’élection a été annulée par le gouvernement militaire de l’époque dirigé par le général Ibrahim Badamasi Babangida alors que les résultats indiquaient déjà une victoire écrasante du chef MKO Abiola du SDP.
La junte militaire a affirmé qu’elle avait été contrainte d’annuler l’élection en raison de certaines menaces à la sécurité. Selon les rapports, certaines sections de l’armée étaient contre la mise en place d’un gouvernement démocratique à cette époque.
Les militaires ont affirmé qu’avec Abiola formant un nouveau gouvernement démocratique, il ne faudrait pas longtemps avant que le gouvernement ne soit renversé par un autre coup d’état militaire. Le gouvernement militaire a précisé qu’il voulait éviter une autre intervention militaire dans le pays. Le régime militaire a également invoqué une décision de justice qui a annulé l’élection du chef Abiola.
L’annulation de l’élection et l’injustice dont a été victime le vainqueur des élections ont suscité un tollé au Nigeria. La pression est trop forte pour le gouvernement du général Babangida, qui est contraint de “s’effacer” au profit du chef Ernest Shonekan, un homme originaire de la terre natale d’Abiola, dans l’actuel État d’Ogun.
Le chef Shonekan a alors pris la tête d’un gouvernement national intérimaire. Le gouvernement du chef Shonekan a été de courte durée puisque son administration a été renversée par un coup d’État militaire le 17 novembre 1993. Le général Sani Abacha, ancien chef d’état-major de l’armée et secrétaire à la défense, devient le nouveau chef de l’État.
Abiola poursuit la lutte pour récupérer son mandat sans succès. Le règne d’Abacha est autoritaire et de nombreuses personnalités politiques qui souhaitaient qu’Abiola soit déclaré vainqueur de l’élection sont arrêtées et emprisonnées. Certains ont dû fuir à l’étranger par crainte d’être exécutés par le gouvernement. Le vainqueur présumé de l’élection a ensuite été jeté derrière les barreaux après s’être déclaré président du Nigeria.
Le 8 juin 1998, le général Abacha meurt. Le général Abdulsalami Abubakar lui succède à la tête de l’État.
Le nouveau gouvernement met en place des modalités pour accorder la liberté au chef Abiola, qui a trouvé la mort de manière mystérieuse le 7 juillet 1998, le jour où il devait être libéré de son incarcération.
Après la mort du chef Abiola, la démocratie nigériane a été plongée dans les affres du deuil et de la douleur. Le nom d’Abiola s’effaçait peu à peu de l’histoire, en particulier dans l’esprit des jeunes qui ne connaissaient pas le sacrifice qu’il avait fait et les luttes des leaders pro-démocratie qui ont combattu les militaires jusqu’à l’immobilisme pour l’enracinement de la démocratie au Nigeria.
Ce n’est que 25 ans plus tard, précisément le 8 juin 2018, que le président Muhammadu Buhari a pris une mesure audacieuse en décrétant le 12 juin Journée de la démocratie au Nigeria, contre la date du 29 mai qui était jusqu’alors observée depuis 1999.
Le président ne s’est pas arrêté là, il a également honoré le vainqueur de l’élection présidentielle annulée du 12 juin 1993, Chief Abiola, de la plus haute distinction nationale, le Grand Commandant de la République fédérale.
La déclaration du président Buhari a été soutenue par le parlement du pays, le Sénat nigérian, qui a adopté le 16 mai 2019 le projet de loi d’amendement de la loi sur les jours fériés pour reconnaître le 12 juin comme la nouvelle journée de la démocratie et un jour férié pour honorer les héros de la démocratie dans le pays.
Reconnaitre le 12 juin comme journée de la démocratie vise également à honorer ceux qui se sont battus pour la cause et la lutte qui ont conduit à la fin de l’ère du régime militaire au Nigeria.
La date du 12 juin déclarée journée de la démocratie fait désormais partie de l’histoire politique du Nigeria, qui restera indélébile pour les générations à venir qui se souviendront des luttes pour l’instauration d’un régime démocratique dans le pays.