L’Irlande du Nord vers une percée historique des nationalistes aux législatives

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Le parti nationaliste en Irlande du Nord, le Sinn Fein, favorable à une réunification avec la République d’Irlande, pourrait arriver en tête des législatives organisées jeudi. Une première dans l’histoire du pays. Mais plus qu’une montée en puissance, c’est plutôt le recul de son principal rival, les loyalistes du Parti unioniste démocrate, au pouvoir depuis un siècle, et la dilution des voix qui lui permettraient de briller.

Un tournant politique pour l’Irlande du Nord et pour le Royaume-Uni ? Les Nord-Irlandais se rendent aux urnes, jeudi 5 mai, pour élire les 90 députés de Stormont, leur Parlement. Et pour la première fois dans l’histoire de cette province britannique, le parti nationaliste, pro-réunification, le Sinn Fein, pourrait arriver en tête. Depuis plusieurs semaines, tous les sondages le donnent gagnant. Il remporterait 26 % des suffrages contre 20 % pour son principal rival, le Parti unioniste démocrate (DUP), attaché à la couronne britannique, qui domine la vie politique depuis un siècle.

Ce séisme politique interviendrait ainsi 24 ans après l’accord du Vendredi saint qui a mis fin, en 1998, aux “Troubles” : trente années de guerre civile qui ont opposé les unionistes, une majorité de protestants attachés à la place de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni et portés par le DUP, aux nationalistes, une majorité de catholiques qui rêvent d’une Irlande unifiée et dont le Sinn Fein porte le combat.

Cette victoire serait surtout un séisme symbolique dans ce territoire où les divisions communautaires restent profondes. Depuis le Vendredi saint, la province est régie par un système de partage des pouvoirs à égalité entre les deux mouvements. Donc si ces chiffres se confirment, Sinn Fein hériterait du fauteuil de Premier ministre et le DUP de Premier-ministre adjoint. Les rôles seraient donc inversés.

Un changement générationnel

Une victoire du Sinn Fein aurait paru invraisemblable à quiconque a vécu les “Troubles”. Pour cause, le parti est connu pour avoir soutenu à cette période des paramilitaires de l’Armée républicaine d’Irlande (IRA).

Mais depuis plusieurs années, le parti a renouvelé ses visages, lui permettant d’améliorer son image. En 2017, un ancien membre de l’IRA, Martin McGuinness, démissionne comme vice-Premier ministre peu avant sa mort. Un an plus tard, Gerry Adams, dirigeant emblématique du parti, a cédé sa place à la jeunesse incarnée par Michelle O’Neill qui, à 45 ans, est l’actuelle vice-Première ministre du gouvernement partagé. Dynamique confirmée par l’arrivée de Mary Lou McDonald, en 2018, à la tête du parti à 49 ans. Les deux femmes jouissent d’une image positive dans les médias. Mais surtout, elles sont entrées en politique après 1998 et ne sont donc pas liées aux trois décennies de conflits sanglants.

“Le Sinn Fein ne nie pas et ne condamne pas son affiliation passée avec l’IRA”,  note Agnès Maillot, spécialiste de l’Irlande du Nord à l’Université de Dublin, auteure du livre “Rebels in Governement”. “Mais, en même temps, il essaie de séparer autant que possible le parti actuel, qui est celui qui existe depuis le début des années 2000, et celui de la fin du XXe siècle.”

D’ailleurs, si la raison d’être du parti reste la réunification de l’Irlande, sa campagne a surtout tourné autour de la question sociale. Le parti s’est positionné à gauche, tentant de rallier un électorat jeune, en colère face aux difficultés de logement et d’emploi au moment où l’Irlande du Nord subit une forte inflation.

Une victoire en trompe-l’œil

Mais même si le Sinn Fein parvient à redorer son blason et à s’affranchir de son passé, celui-ci constitue tout de même un plafond de verre, selon Agnès Maillot. “Pour certaines personnes, et pas uniquement des unionistes, c’est une ligne rouge”, insiste-t-elle.

Preuve en est, si les sondages lui donnent six points d’avance sur son rival du DUP, ils montrent aussi qu’il stagne à 26 % des voix, soit moins que ce qu’il avait obtenu lors des dernières élections en 2017 (près de 28 %).

D’après la spécialiste, plus qu’une montée en puissance du Sinn Fein, cette possible victoire signerait plutôt une débâcle de son rival, le DUP, et un regain d’intérêt des électeurs pour des “troisièmes voix” comme le parti Alliance.

Depuis 2016 et le Brexit, le parti unioniste est miné par des divisions internes. S’il a d’abord soutenu le “Leave” lors du référendum en 2016, le DUP avait initialement refusé le protocole de sortie de l’Union européenne proposé par Teresa May, qui garantissait pourtant de maintenir le statut de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni. Quelque temps après, il a décidé de soutenir le protocole nord-irlandais de Boris Johnson, qui crée pourtant une frontière douanière entre la province et le reste du Royaume-Uni. C’est cela qui cristallise aujourd’hui les tensions.

“Pour certains électeurs unionistes, le DUP ne fait pas assez pour défendre la place constitutionnelle de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni. Certains d’entre eux sont donc tentés de se tourner vers le parti Voix unioniste traditionnel [TUV], une formation plus dure”, explique Agnès Maillot. “D’autres, à l’inverse, estiment que le parti est trop étroitement lié au rejet du protocole d’Irlande du Nord. Ils préfèrent donc se tourner vers le parti unioniste d’Ulster [UUP], plus modéré.” Ce dernier dénonce le protocole mais prône un dialogue avec Bruxelles.

Certains préfèrent se tourner vers une troisième voix, notamment vers Alliance, un parti issu des rangs unionistes mais qui se présente comme neutre. Pour cause, au-delà de la question du Brexit, la position protestante évangélique du DUP sur les questions sociales dérangent de plus en plus d’unionistes. “Ces électeurs sont pro-choix sur l’avortement et pro-mariage homosexuel et préfèrent donc se tourner vers Alliance”, explique Peter Shirlow, directeur de l’Institut d’études irlandaises de l’université de Liverpool. “À l’inverse, le DUP ne cherche pas à les récupérer, il essaie plutôt de rallier les électeurs plus conservateurs qui ont fait défection au TUV.”

“Les partis centristes attirent des nationalistes comme des unionistes”, poursuit-il. Selon lui, il existe “un haut niveau de frustration” chez les électeurs, lié au système de partage des pouvoirs. “Cela a été essentiel pour mettre fin au conflit dans les années 1990. Mais ça n’a pas permis d’évacuer toutes les questions constitutionnelles.”  “Cela a permis aux élites des partis de se maintenir au pouvoir” au lieu de se concentrer sur des questions urgentes comme l’état des services publics, estime-t-il.

Les analystes s’attendent néanmoins à ce que le DUP se maintienne mieux que ne le prévoient les sondages. Certains unionistes indécis finiront par “se boucher le nez et voter DUP” pour tenter d’empêcher le Sinn Fein de l’emporter, analyse Peter Shirlow.

“Une majorité de l’électorat nord-irlandais souhaite rester au sein du Royaume-Uni”

Quel que soit le résultat des élections de jeudi, cela ne traduira pas une baisse du soutien à l’unionisme, s’accordent par ailleurs à dire les spécialistes.

Malgré le malaise provoqué par le Brexit, les sondages montrent en effet qu’une majorité de l’électorat nord-irlandais souhaite rester au sein du Royaume-Uni. Une étude de l’Institut d’études irlandaises de l’université de Liverpool, réalisée en décembre dernier, a ainsi révélé que seulement 30 % des électeurs nord-irlandais voteraient demain pour une Irlande unie – et que 33,4 % d’entre eux se verraient bien le faire dans 10 à 15 ans.

Loin des dynamiques en cours lors du Vendredi saint, de nombreux catholiques nord-irlandais se sentent désormais à l’aise d’être rattachée au Royaume-Uni. “Même si la population catholique augmente, il y a toujours beaucoup plus de catholiques qui soutiennent l’union que de protestants qui soutiennent une Irlande unie”, souligne Peter Shirlow. “De nombreux catholiques ont un intérêt matériel à rester dans l’union, qu’ils travaillent dans le secteur public ou pour des entreprises liées au Royaume-Uni. Nombre d’entre eux refusent de vivre la tourmente qu’entraînerait une adhésion à la République d’Irlande”, termine-t-il.

Avec France 24

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